1 – État des lieux

Dans le milieu du travail, les discriminations raciales et les discriminations basées sur le sexe sont les plus fréquentes. Ensuite viennent les discriminations liées au handicap, à la religion et à l’orientation sexuelle. Les attitudes discriminatoires sont rapportées par 33% des personnes non-blanches, 24% des personnes homosexuelles ou bisexuelles, 23% des femmes, 22% des personnes musulmanes et 15% des personnes en situation de handicap.[1] Les principales discriminations concernent l’embauche, la rémunération (salaire, mais également avantages en espèces ou en nature), la formation, l’affectation et la promotion professionnelle.

Le milieu de l’ESS n’échappe pas à ces discriminations. Des études ont été faites sur la question de l’égalité professionnelle femmes-hommes, notamment par l’Observatoire de l’égalité femmes-hommes dans l’ESS du CNCRESS. Si les effectifs sont composés de 68% de femmes, elles ont 2 fois moins de chances d’être cadre que les hommes et subissent un écart de salaire de 23%, ce qui est similaire à l’écart de salaire général en France.[2] Ces chiffres montrent que le secteur de l’ESS n’est pas une exception et qu’on y retrouve les mêmes problématiques d’inégalités et de discriminations présentes dans les autres secteurs.

Le secteur de l’IAE est lui aussi touché par des problématiques de discriminations. Malgré la raison d’être du secteur de l’insertion, à savoir d’accompagner les publics les plus marginalisés et fragilisés, l’IAE n’est pas une exception. Il est d’autant plus nécessaire de faire un travail approfondi sur la manière de prévenir les discriminations et d’accompagner au mieux les victimes.

Un travail mené auprès des professionnels de l’IAE en 2007 a permis de mettre en lumière les cas et enjeux spécifiques de la lutte contre les discriminations dans le secteur.[3] Les premiers acteurs concernés sont les clients, qui peuvent avoir de forts préjugés et faire des demandes discriminatoires. Ces demandes peuvent être formulées de manière explicite, par exemple en exprimant des besoins en main d’œuvre basés sur des critères de genre ou de nationalité, mais également de manière plus subtile en demandant des détails sur le profil des salariés ou par l’utilisation de sous-entendus. Les salariés peuvent également être confrontés à des comportements discriminants dans la réalisation de leur contrat chez le client. Ces situations arrivent en particulier dans les AI dans le cadre de mise à disposition des salariés.

Les discriminations sont également présentes à plusieurs niveaux au sein des SIAE elles-mêmes, même si elles peuvent sembler moins visibles. Les permanents peuvent avoir des attitudes et comportements discriminants envers les salariés en insertion, parfois sans s’en rendre compte. Les discriminations dans le cadre des relations hiérarchiques avec les encadrants ou la direction peuvent être particulièrement difficiles à gérer. Le prétexte de « l’humour » est souvent utilisé pour invisibiliser des attitudes et propos discriminants bien réels, ce qui a pour conséquence de créer un environnement qui renforce et banalise l’intolérance. La gestion des pratiques religieuses des salariés dans le cadre professionnel peut également être source de tensions, et les structures ne sont pas toujours informées de leurs obligations légales en la matière. Des attitudes discriminantes peuvent avoir lieu entre les salariés en insertion eux-mêmes.

L’orientation et la prescription des salariés en insertion est un enjeu majeur dans l’IAE. En effet, on peut constater des orientations basées sur des préjugés, en particulier sur la base de critères de sexe ou d’origine des personnes, sans tenir compte de leurs compétences professionnelles. Cela peut venir des représentations et préjugés des prescripteurs, conduisant à une ségrégation des postes au sein des SIAE en fonction des secteurs. Les femmes sont ainsi orientées massivement vers les postes de ménage et d’aide à la personne, tandis qu’elles sont quasiment absentes dans le BTP, la logistique ou les espaces verts. Ces pratiques deviennent intériorisées par les salariés eux-mêmes qui sont dévalorisés, ce qui impacte grandement leurs perspectives professionnelles.

Cette orientation sectorisée explique le manque de parité dans les ETTI franciliennes, travaillant majoritairement dans les domaines du BTP, logistique ou industrie, qui ont 91% d’hommes dans leurs effectifs de salariés en insertion.[4] Les EI et les ACI suivent avec respectivement 71% et 64% d’hommes. Seules les AI, plus spécialisées sur le service à la personne, ont une majorité de 53% de femmes. Ces AI sont également les structures où les salariés en insertion ont le moins de temps de travail. Par ailleurs, l’augmentation des clauses sociales dans les marchés publics vient renforcer les inégalités femmes-hommes dans l’IAE en favorisant principalement le BTP ou les espaces verts. En conséquence, les ETP financés par ces clauses sont à plus de 83% masculins.[5]

Les salariés en insertion sont souvent victimes de discriminations dans d’autres domaines que celui de l’emploi, comme par exemple l’accès au logement, à la santé, au crédit etc. Ces aspects sont à prendre en compte dans l’accompagnement global des salariés en détectant les situations de discrimination, en les informant de leurs droits et en les redirigeant vers les acteurs appropriés.

 

2 – État du droit

Le droit est complet sur les questions de lutte contre les discriminations, mais reste encore mal connu et pas toujours appliqué.

Une discrimination est définie dans la loi comme un traitement défavorable qui est fondé sur un critère reconnu par la loi, et qui relève d’une situation visée par cette dernière. Plus de 23 critères y sont définis, incluant l’âge, le sexe, l’origine vraie ou supposée, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le handicap, la religion…[6] Les situations visées sont l’accès à l’emploi, la rémunération et avantages sociaux dans un cadre professionnel, l’accès aux biens et services privés ou publics, l’accès à la protection sociale et l’éducation et formation.

La discrimination est un délit pénal passible de sanctions qui peuvent aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000€ d’amende.[7] Tous les travailleurs, salariés ou non, sont protégés par la loi, ainsi que les candidats à un emploi ou les personnes témoins de discrimination. Par ailleurs, la structure elle-même peut être saisie pénalement en tant que personne morale, en tant qu’auteur du délit ou comme complice.

Il existe plusieurs formes de discriminations. La discrimination est directe si une différence de traitement est directement et délibérément basée sur un des critères visés par la loi. Elle est indirecte si une décision, règle ou pratique neutre en apparence entraîne une inégalité de traitement défavorable en raison d’un des critères visés par la loi.[8]

D’autres cas sont également considérés comme des discriminations. Le harcèlement est discriminatoire lorsqu’il se base sur un critère visé par la loi. Le harcèlement sexuel dans un cadre professionnel est une discrimination fondée sur le sexe, défini dans le code du travail comme « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui portent atteinte à la dignité ou tout comportement, même non répété, qui constitue une pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle ».[9] Les autres critères de la loi peuvent également faire l’objet d’un harcèlement discriminatoire.

La loi s’applique également lors d’une incitation à la discrimination ou d’une instruction de discriminer selon les critères définis. Cela concerne par exemple des ordres discriminatoires donnés par la direction en termes d’embauche.

Certains critères discriminants peuvent être légalement autorisées lorsqu’ils sont justifiés par des « exigences professionnelles essentielles ». C’est principalement le cas concernant l’âge minimum et maximum pour certains secteurs d’activités présentant des problématiques de sécurité.

Deux recours existent pour une personne victime de discrimination. Le recours civil aux Prud’hommes a pour but de réparer le préjudice subi par l’annulation de la mesure discriminatoire et le versement de dommages et intérêts. Le recours pénal vise à sanctionner l’auteur, qui est passible d’une amende ou d’une peine de prison. Dans le cas d’une procédure pénale, il est demandé à la victime d’apporter la preuve de la discrimination. Dans une procédure civile, c’est l’auteur de la discrimination qui doit prouver son innocence. Ce recours est donc plus adapté aux personnes n’ayant pas de preuves claires de la discrimination, qui sont souvent difficiles à obtenir.

De nombreux acteurs peuvent légalement intervenir dans le cas d’une discrimination. Le défenseur des droits est l’acteur de référence. Il s’agit d’une autorité constitutionnelle indépendante qui a pour rôle l’accompagnement des victimes de discriminations, en les aidant à constituer les dossiers de plainte. Elle peut être saisie par n’importe qui. Les syndicats ainsi que les associations de lutte contre les discriminations peuvent également accompagner les victimes et porter une action en justice.

 

3 – Analyser les discriminations

La discrimination part souvent des préjugés et stéréotypes, qui sont des jugements ou idées préconçues fondés sur des suppositions ou des convictions envers un groupe de personnes. Ils se basent généralement sur une méconnaissance ou un refus de la différence, qui sont véhiculés et inculqués par l’environnement social, souvent de manière inconsciente. Ils peuvent influencer les perceptions et les comportements, et amener à adopter des attitudes discriminantes. Les personnes stigmatisées et discriminées sont renvoyées à ce qui les différencie du groupe majoritaire et dominant. Les propos et comportements discriminants agissent alors comme un mécanisme de dévaluation des personnes qui en sont victimes. Ces stéréotypes sont souvent intériorisés par les victimes et mènent à l’autocensure. Même lorsque les préjugés présentent une image qui semble « positive », ils servent à véhiculer une représentation stéréotypée d’un groupe de personnes. Par ailleurs, l’utilisation de certains mots et expressions renforcent et banalisent les préjugés.

Il est nécessaire d’adopter une approche intersectionnelle des discriminations, autrement appelées discriminations multiples, en appréhendant les multiples aspects de l’appartenance sociale des personnes. Cette analyse permet de mettre en évidence les discriminations spécifiques subies par les personnes au croisement de plusieurs caractéristiques, par exemple les femmes noires ou les personnes racisées en situation de handicap. Le baromètre 2018 du défenseur des droits a ainsi montré que les femmes de 18 à 44 ans perçues comme non-blanches étaient plus de 50% à rapporter des propos ou comportements stigmatisants au travail, contre 25% dans la moyenne de la population.[10]

L’approche de la discrimination systémique met en avant la discrimination produite par plusieurs acteurs à la fois, qu’ils soient dans la même structure ou pas. Cette forme de discrimination est souvent invisible car la responsabilité est partagée et découle de pratiques qui semblent neutres, résultant de modes d’organisation et de gestion liées à des préjugés et représentations fausses. Dans le cadre de l’IAE, on peut prendre l’exemple des prescripteurs qui orientent certains types de profils vers des emplois spécifiques, par rapport à leur sexe ou leurs origines, et des donneurs d’ordre favorisant certains secteurs où des hommes sont systématiquement orientés dans les clauses sociales de leurs marchés publics. Même sans intention de nuire, cela provoque un renforcement cumulé des discriminations.

D’autre part, il convient de bien différencier les discriminations des actions positives, aussi connues sous l’expression incorrecte de « discriminations positives ». Il s’agit de mesures permettant de corriger ou de réduire des inégalités produites par des discriminations. Les contrats d’insertion sont un exemple d’action positive, puisqu’ils sont réservés à des populations spécifiques exclues dans la société. Ce type d’actions n’est pas considéré légalement comme une discrimination, puisqu’elles permettent au contraire de corriger des discriminations existantes.

 

4 – Solutions

Face au constat des problématiques de discriminations en entreprise et dans l’IAE, de nombreuses pistes de solutions existent, notamment via les guides de bonnes pratiques. Deux guides sont notamment spécialisés sur le secteur de l’IAE, le « Kit de professionnalisation pour la prévention des pratiques discriminatoires dans l’IAE » édité par le CNIAE[11] et le guide « Lutter contre les discriminations et garantir l’égalité des chances » édité par Chantier Ecole.[12] De nombreux autres guides de bonnes pratiques sont plus généraux mais peuvent tout à fait s’appliquer aux SIAE. Ces supports soulignent l’importance d’avoir une réponse complète à plusieurs niveaux, de la déconstruction des stéréotypes aux processus de signalement des incidents, en passant par les réponses aux comportements discriminatoires des partenaires.

La mise en place d’outils d’évaluation et de suivi internes permettent de faire un état des lieux de la situation au sein de la structure, adapter les pratiques en fonction des besoins et mesurer les progrès effectués. Des indicateurs comme la parité femmes-hommes, les différences de rémunération etc. sont faciles à implémenter. La mesure du traitement des salariés doit être effectué à tous les niveaux et toutes les étapes du parcours, que ce soit le recrutement, les formations, ou dans les sorties de la structure. Les outils de mesure du ressenti des discriminations, par des enquêtes anonymes auprès des salariés par exemple, sont essentiels pour prendre en compte la perception des salariés et pour mesurer les critères de discrimination qui ne peuvent faire l’objet d’un traitement statistique comme les origines ou l’orientation sexuelle. Ces mesures ne concernent pas uniquement les salariés en insertion, mais la totalité des employés de la structure.

La lutte contre les discriminations passe obligatoirement par la sensibilisation et la formation de tous les salariés. La sensibilisation vise à faire prendre conscience des mécanismes conduisant à discrimination et à déconstruire les stéréotypes. Les formations juridiques ont pour but de rappeler le contenu de la loi, souvent mal connue, ainsi que ses implications et les sanctions encourues. Elles servent également à informer les personnes de leurs droits si elles sont victimes de discrimination. Les formations peuvent également porter sur la mise en place d’un management plus inclusif. Par ailleurs, un travail peut être fait avec les salariés en insertion potentiellement victimes de discriminations sur la levée des freins à l’emploi, d’anticiper les situations de discriminations et de savoir y faire face.

Des groupes de réflexion au sein de la structure doivent être mis en place pour travailler sur ces questions et en particulier sur les modalités de l’implantation de la lutte contre les discriminations. Il s’agit de repérer et analyser les problématiques déjà rencontrées, mais également d’identifier en amont les mesures préventives, réactions et solutions aux situations discriminatoires pouvant survenir dans la structure. Définir une position institutionnelle claire est indispensable et permet d’anticiper les difficultés.

Cette position de la structure doit faire l’objet d’une formalisation et être inscrite dans la charte et le règlement intérieur. Le résultat des groupes de réflexion doit permettre d’établir une politique officielle de lutte contre les discriminations et être communiqué à tous les employés. Cette politique doit également être communiquée aux clients et aux salariés en insertion pour clarifier la position de la structure et constituer un document de référence pour tout incident.

La mise en place de procédures de remontée d’information et de traitement des incidents permet d’assurer un contrôle du respect des mesures prévues de lutte contre les discriminations. Des référents formés sur le sujet peuvent être désignés dans la structure afin de recueillir et faire remonter la parole des personnes victimes de discriminations dans la structure, d’être attentifs aux signaux d’alerte, et de communiquer les informations nécessaires aux autres salariés. Des sanctions peuvent être décidées en cas de non-respect des mesures prévues.

 

 

Pour aller plus loin :

Conseil national de l’Insertion par l’Activité Economique, Kit de professionnalisation pour la prévention des pratiques discriminatoires dans l’IAE, 2014

Conseil national de l’Insertion par l’Activité Economique, Discriminations et égalité des chances : questions et enjeux pour l’Insertion par l’Activité Economique, 2005

Chantier école, Lutter contre les discriminations et garantir l’égalité des chances : un nouvel enjeu pour les chantiers !, 2007

CNCRESS, Etat des lieux de l’égalité femmes-hommes dans l’économie sociale et solidaire, 2019

Défenseur des droits, 11e baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, 2018

Défenseur des droits, Déconstruction des stéréotypes et préjugés, 2012

Ministère du travail, Guide sur les aspects sociaux de la commande publique, 2018

Centre Inffo, Comment lutter contre les discriminations en entreprise ?, 2012

 

Références

[1] Défenseur des droits, 11e baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, 2018

[2] CNCRESS, Etat des lieux de l’égalité femmes-hommes dans l’économie sociale et solidaire, 2019

[3] Conseil national de l’Insertion par l’Activité Economique, Kit de professionnalisation pour la prévention des pratiques discriminatoires dans l’IAE, 2014

[4] Direccte, L’insertion par l’activité économique, Données 2017

[5] Ministère du travail, Guide sur les aspects sociaux de la commande publique, 2018

[6] Code pénal, Article 225-1

[7] Code pénal, Article 225-2

[8] LOI n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations

[9] Code pénal, Article 222-33

[10] Défenseur des droits, 11e baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, 2018

[11] Conseil national de l’Insertion par l’Activité Economique, Kit de professionnalisation pour la prévention des pratiques discriminatoires dans l’IAE, 2014

[12] Chantier école, Lutter contre les discriminations et garantir l’égalité des chances : un nouvel enjeu pour les chantiers !, 2007

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