A première vue, la première tendance est une bonne nouvelle : en France, le chômage baisse. Son taux de 8,5% (hors Mayotte), est le plus bas depuis 2009. En volume, on compte ainsi 66 000 chômeurs de moins en ce mois de Novembre par rapport au début de l’année[1]. On aurait officiellement passé la période difficile qu’avait ouvert la crise de 2008.

Mais ce serait sans compter le phénomène d’augmentation du halo autour du chômage. En effet, le calcul du chômage ne prend en compte que les personnes qui cherchent un emploi et qui se déclarent disponible dans les deux semaines. Cette définition est celle de la catégorie A des inscrits chez Pôle Emploi. Il en existe 4 autres. De nombreuses situations ne correspondent pas à cette catégorie, voire à aucune des 5. Toutes les personnes sans emploi qui n’y rentrent pas composent alors ce que l’INSEE appelle le halo autour du chômage. Il a cru de 63 000 personnes cette année, qui rejoignent les 1,6 millions qui s’y trouvaient déjà[2]. Ce niveau est supérieur de près de 400 000 personnes à celui d’avant la crise.

Autrement dit, la baisse du chômage est proportionnelle à la hausse du halo qui l’entoure. En prenant toutes les catégories d’inscrits chez Pôle Emploi et le halo, on compte 12,5 millions de personne en 2009. Sur celles-ci, seules 2,6 touchent des indemnités de Pôle Emploi[3].

Autre tendance : l’augmentation de la part des travailleurs précaires, c’est-à-dire les emplois en CDD, intérim ou apprentissage. On compte 13,7% des emplois dans cette catégorie en 2019[4], contre 12 en 2008, 11 au début des années 2000, 8 en 1990, et 5 en 1985. Une autre statistique est signifiante : en Ile de France, le nombre d’équivalent temps plein des intérimaires est passé de 95 000 en 2015 à 135 000 en 2018[5].

Enfin, 11,7% des emplois sont occupés par des indépendants. Cette catégorie est très hétérogène, mais regroupe notamment tous les auto-entrepreneurs, depuis la création du statut en 2008. Elle est particulièrement sujette à la précarité, avec 20% des indépendants se trouvant en réalité dépendant d’un seul client ou intermédiaire, imposant des contraintes et rapprochant le travail effectué du salariat déguisé[6]. C’est le cas de l’ensemble des travailleurs de l’économie de plateforme qui se développe depuis quelques années, avec en fer de lance des entreprises comme Uber ou Deliveroo. Toutes ces formes atypiques de travail indépendant ne sont pas encore bien encadrées par le droit, ni par les instituts statistiques[7]. Ce que l’on sait toutefois pour le moment est que le statut d’auto-entrepreneur semble aussi marqué par le sceau de la précarité : seul un auto-entrepreneur sur 3 est encore à son compte trois ans après son installation[8]. Les auto-entrepreneurs viennent souvent des fractions les moins favorisées de la population : 29% de chômeurs, 6% de précaires, 11% d’inactifs. Au bout de trois ans, 90% des auto-entrepreneurs dégagent un revenu inférieur au SMIC au titre de leur activité non salariée[9].

Finalement, si la part des travailleurs précaires n’est « que » de 13% dans les catégories de l’INSEE, la précarité est bien plus grande sur le marché du travail. Car la précarité peut s’entendre comme une « insécurité matérielle ou économique liée à la discontinuité et à la faiblesse des revenus, insécurité statutaire liée notamment aux lacunes de protection sociale et la dimension de stigmate et d’indignité sociale ». Les 3 catégories décrites plus haut, chômeurs, employés précaires, et autoentrepreneurs, sont largement composés de personnes pouvant rentrer dans cette définition. Le marché du travail en 2019 se compose donc d’un noyau d’emplois stables, et d’une marge de situations de précarité variées, composée de chômage et d’emplois instables. Cette marge tend à augmenter.


[1] Legrand, Baptiste. « Moins de chômage… mais plus de “halo autour du chômage” », Le Nouvel Obs, 14 août 2019. https://www.nouvelobs.com/economie/20190814.OBS17183/moins-de-chomage-mais-plus-de-halo-autour-du-chomage.html.

[2] Besançon, Yves. « Le nombre de chômeurs: deux poids, deux mesures ». Club de Mediapart. Consulté le 12 décembre 2019. https://blogs.mediapart.fr/yves-besancon/blog/251213/le-nombre-de-chomeurs-deux-poids-deux-mesures.

[3] Israel, Dan. « Ce que le gouvernement fait aux chômeurs ». Mediapart. Consulté le 12 décembre 2019. https://www.mediapart.fr/journal/economie/281019/ce-que-le-gouvernement-fait-aux-chomeurs.

[4] Observatoire des inégalités. « 3,7 millions de salariés précaires en France ». Consulté le 12 décembre 2019. https://www.inegalites.fr/etat-precarite-emploi.

[5] DIRECCTE Ile de France. « Chiffres clés 2019 de l’économie, du travail et de l’emploi en Ile-de-France », 3 juillet 2019. http://idf.direccte.gouv.fr/Nouveau-les-chiffres-cles-2019-de-l-economie-du-travail-et-de-l-emploi-en-Ile.

[6] Babet, Damien. « Un travailleur indépendant sur cinq dépend économiquement d’une autre entité – Insee Première ». INSEE. Consulté le 12 décembre 2019. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3974828.

[7] Gros, Julien. Les statistiques de l’emploi face aux mutations du travail indépendant. La Découverte, 2019. https://www.cairn.info/les-mutations-du-travail–9782348037498-page-77.htm.

[8] Richet D., Rousseau S. et Mariotte H. (2016), « Auto-entrepreneurs immatriculés en 2010 : trois ans après, 30 % sont encore actifs », Insee Première, n° 1595.

[9] Domens, Jérôme et Justine Pignier. 2012. « Au bout de trois ans, 90 % des auto-entrepreneurs dégagent un revenu inférieur au Smic au titre de leur activité non salariée », INSEE Première, n° 1414.

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