Depuis 15 jours, les adhérents de Coorace excellent sur le village des athlètes du « plus grand évènement du monde ». Avec l’apport de la délégation Coorace Île-de-France et de 3 ESAT, 6 de nos adhérents ont remporté le marché de l’exploitation des laveries. 500 salarié.e.s sont mobilisés, pour laver le linge de quelques 15 000 athlètes.
Nous vous proposons ici un entretien croisé avec nos 6 adhérents.
Comment se déroule une journée type ?
Jade Mastrorillo, Energie :
Chaque jour, les athlètes peuvent déposer leur linge au bureau d’accueil de l’une des 12 laveries. Ils déposent leur linge dans des filets individuels, fermés, que nous n’avons pas à ouvrir. Nous les récupérons et les associons à leur accréditation individuelle.
Cela nous permet de tracer leur linge tout au long du processus de lavage. Nous lavons ce linge dans des grandes machines à laver.
Nous le séchons ensuite dans des sèches-linges, puis nous le stockons sur des étagères. En tout, nous utilisons plus de 400 machines et 60 000 filets de linge. Lorsqu’un athlète vient récupérer son linge, nous savons précisément où il se trouve. En vérifiant son accréditation individuelle, nous pouvons lui rendre en quelques minutes. Nous devons tracer précisément chaque dépôt de linge pour s’assurer qu’il soit récupéré dans les 24 heures qui suivent.
Nous avons mis en place des solutions pour que les laveries fonctionnent à pleine capacité. C’est un vrai défi car nous devons penser des procédures accessibles à toutes et tous, quelques soient ses particularités : niveau de maitrise du français, capacités physique, niveau d’autonomie, aisance orale, etc.
Nous assurons également le maintien dans un état optimal des locaux et du matériel qui nous est confié: nous n’oublions pas que tout doit être réutilisé à l’issue des jeux ! Les étagères partiront dans des entreprises d’insertion de logistique, les machines seront revendues à des familles, et les locaux deviendront des habitations, des parkings ou des bureaux.
A une semaine du début de l’événement, quel premier regard portez-vous sur le travail effectué ?
Theo Posner, La conciergerie solidaire :
Dans l’ensemble, ça se passe très bien. Le contact avec les athlètes est excellent, et nous avons déjà lavé 40 000 filets de linge. Nous avons déjà beaucoup appris et optimisé notre fonctionnement.
Comment est composée votre équipe ?
Djazia Aidh, Services Perso :
Les laveries sont exploitées par 9 structures, dont 6 de l’Insertion par l’Activité Economique (IAE) et 3 Etablissements et Services d’Accompagnement par le Travail (ESAT).
Les Associations Intermédiaires intervenant dans le cadre du marché sont LADOMIFA (Montreuil), ENERGIE (Clichy-sous-Bois), SERVICES PERSO (Saint-Denis), et VILLETTE EMPLOI (Paris 19ème).
Les Entreprises d’Insertion intervenant dans le cadre du marché sont UNE CHANCE AVEC DRANCY (Drancy) et LA CONCIERGERIE SOLIDAIRE (Paris).
3 membres sont des ESAT : l’APEI, l’AFASER, et l’ADAPT. Les ESAT accueillent des personnes qui ne sont pas en mesure de travailler dans une activité professionnelle ordinaire, du fait de leur handicap.
Nos structures se sont regroupées avec l’appui du réseau Coorace. Coorace est une fédération nationale d’entreprises agissant pour l’emploi des personnes précarisées, qui luttent contre les exclusions et les discriminations.
A votre avis, que démontre un tel projet ?
Elodie Coutellier, UCAD :
D’abord, avec ce projet nous montrons que personne n’est inemployable. Nous sommes fiers de travailler avec des personnes de toutes origines, avec des parcours variés et riches. Nous formons une communauté diverse, à l’image de la société française.
Nous démontrons que par l’entraide, on fait des grandes choses. On est tous gagnants à la fin. Nos entreprises fonctionnent grâce à la solidarité de nos concitoyens, mais pour 1€ investi, nous en rapportons le triple à la collectivité. L’inclusion est un modèle vertueux qui a besoin d’être plus soutenu.
Nous avons tous à y gagner ! 8 sur 9 de nos membres sont des associations. 9 sur 9 de nos associations fonctionnent avec un principe de lucrativité limitée. Nos modèles d’entreprise démontrent qu’une économie plus raisonnable, adaptée aux défis du développement durable est possible.
Nous pouvons réaliser cette opération grâce à l’engagement d’un acheteur public pour nos structures. Aujourd’hui, la plupart des acheteurs publics ne respectent pas leur obligation d’avoir 25% de marchés comportant des considérations sociales. Nous avons besoin que cela change.
Nous avons pu avancer dans ce marché malgré des freins lourds imposés dans la vie d’une partie de nos travailleurs. Aujourd’hui, pour travailler en France pour un étranger, les démarches administratives sont très lourdes. Nous avons dû écarter une partie des travailleurs de nos effectifs parce que les préfectures n’ont plus les moyens de traiter à temps les demandes de renouvellement de titres séjour ou d’autorisation de travail. C’est absurde: nous avons des gens motivés pour travailler, pour intégrer un parcours durable, qui en sont empêchés pour des questions administratives. Ensuite, ces mêmes personnes se verront reprocher de ne pas avoir suffisamment travaillé pour prétendre à plus de droits sur notre territoire.
Comment s’est organisé le développement de projet ?
Olivier Flament, Villette Emploi :
Nous avons bénéficié de l’aide de deux acteurs importants : D’une part, ESS 2024, qui a identifié l’opportunité et soutenu notre démarche de groupement. ESS 2024 a également été de bon conseil tout au long du développement de projet.
Surtout, Coorace a initié la formation du groupement, et proposé les bases de notre fonctionnement. Coorace a coordonné le groupement à ses débuts, puis continué d’apporter de nombreuses solutions tout au long du développement.
Ensuite, nous avons fait de la solidarité entre les membres la clé de voute du projet. Nous n’avons eu cesse de nous entraider, de nous tirer mutuellement vers le haut. Comme dans le sport, nous avons eu une approche d’équipe de ce projet. Les néerlandais avaient inventé le « football total » : les attaquants aident les défenseurs à récupérer le ballon quand il est perdu, les défenseurs montent en attaque pendant l’offensive. Ici nous avons appliqué la «gestion de projet totale» : chacun a participé au développement de façon désintéressée, dans l’intérêt du collectif.
Et après, quel héritage garderez-vous de ce projet ?
Caroline Pitner, Ladomifa :
Le succès du Groupement des Laveries dans l’obtention du marché des laveries et dans la gestion du travail sur les sites, pourrait bien marquer le début d’une dynamique prometteuse.
Ce groupement a démontré qu’en unissant leurs forces, des SIAE (Structures d’Insertion par l’Activité Economique) et des ESAT, peuvent relever des défis de grande envergure et répondre avec professionnalisme à des demandes de prestation importantes, en plaçant le respect des travailleurs.euses et de leur projet social au centre de leurs actions.
Forts de cette réussite, les perspectives s’ouvrent largement ! Cette collaboration exemplaire prouve que de nombreux autres projets, dans divers secteurs, peuvent bénéficier de cette approche solidaire et efficace.
Qu’il s’agisse d’autres événements sportifs, de projets dans des domaines tels que la logistique, la restauration, et plus encore, les opportunités sont vastes. Maintenir et renforcer cette dynamique est essentiel.
Les structures impliquées ont montré qu’elles peuvent s’adapter, innover et répondre aux exigences les plus élevées tout en gardant des conditions de travail valorisantes pour les travailleurs.euses concerné.e.s. Ensemble, les SIAE et les ESAT, peuvent continuer à repousser les frontières de l’inclusion, ouvrant la voie à des nouvelles réussites et à un impact social toujours plus grand.
Caroline Pitner, Ladomifa