Il y a un an, le président Emmanuel Macron annonçait le lancement de la stratégie pauvreté, dotée de près de 8,5 milliards d’euros. Cette dernière place l’insertion par l’activité économique comme « vecteur essentiel d’émancipation », en lui donnant de nouveaux moyens pour faire passer de 140 000 à 240 000 le nombres de salariés accompagnés par les SIAE. Dès 2020, le budget augmentera de 100 millions pour atteindre 1,3 milliards en 2022.

Dans la continuité des annonces et pour accompagner ces nouveaux moyens, se créait le Conseil de l’Inclusion dans l’Emploi, présidé par Thibault Guilluy, directeur du groupe Ares. Il avait pour objectif de produire un rapport en vue d’une réforme pour « faire plus, faire mieux, faire plus efficient, faire avec les entreprises ».

Globalement que peut-on retirer des premiers éléments de ce pacte remis à la ministre Muriel Pénicaud, en présence d’Emmanuel Macron, le 10 septembre dernier ?

La réforme porte un ensemble cohérent, celui de décloisonner, pour ne pas dire libéraliser, le secteur de l’IAE. Ouvrant le spectre de la désormais « inclusion dans l’emploi » au GIEQ, aux futures entreprises à mission issue de la loi Pacte, favorisant les joint-ventures sociales et les passerelles avec la RSE ou encore l’accès au mécénat, le curseur est clairement posé. S’il faut reconnaitre un travail d’objectivation de lourdeurs de gestion qui pèsent au quotidien sur nos structures, se pose tout de même, très clairement la question de savoir à qui vont profiter ces nouveaux moyens.

Nous avons toujours assumé de porter le dépassement de nos modèles pour qu’ils infusent dans l’économie classique. Nous pensons que nos entreprises sociales, ancrées dans les territoires et aux croisements des mutations sociales, écologiques, numériques doivent irriguer plus largement. Il faut passer une étape supplémentaire dans l’hybridation de l’ESS et de l’économie traditionnelle. Cette dernière a su construire les outils favorisant son développement particulièrement fort, n’ayons aucune peur à nous en emparer. Mais l’hybridation fonctionne dans les deux sens.  Apprendre de nos modèles démocratiques, de la juste rémunération du travail vis-à-vis du capital, de la logique de long terme qui prévaut à l’investissement est aujourd’hui d’une impérieuse nécessité pour l’économie dans son ensemble, afin de créer les conditions d’une société apaisée.

La réforme lève toutes les contraintes pour que les grandes entreprises classiques entrent sur le terrain de l’insertion. Dans le même temps, les besoins des structures de l’IAE ne sont pas pleinement entendus, concernant les difficultés à financer la formation des salariés, le manque de financement des associations intermédiaires, ou encore l’augmentation des cotisations sociales. Cette dynamique profite aux grands groupes, et non aux petites structures qui agissent au plus proche des territoires qui risquent d’être affaiblies, voire de disparaître au profit de ces grandes entreprises. Cela met en danger la qualité de l’accompagnement des individus, mais également l’inclusion des citoyens d’un point de vue démocratique.

Dans ce contexte, Coorace Île-de-France porte haut et fort le besoin de garantir des logiques de développement coopératives plutôt que concurrentielles entre les SIAE dans les territoires. Notre délégué régional, en sa qualité d’animateur de groupe de la stratégie pauvreté, a clairement lors de plusieurs rencontres fait passer ce message auprès du cabinet du préfet de région et de la nouvelle haute commissaire à la stratégie pauvreté. Développer oui, mais pas en mettant l’existant en difficulté, c’est le message que nous développerons constamment là où nous sommes présents.

En tant que réseau nous devrons être au rendez-vous de l’accompagnement, de l’outillage et du renforcement des coopérations, c’est une nécessité et la délégation se renforce petit à petit pour être au rendez-vous. 

Mais au-delà, de nombreuses décisions de l’exécutif viennent percuter la réalité sociale des personnes que nous accompagnons. Les décrets d’application de la réforme de l’assurance chômage sont à ce titre extrêmement problématiques. L’Unedic envisage que le nombre de chômeurs indemnisés baissera de 210.000 d’ici à 2022 du fait des nouvelles règles de l’assurance-chômage. Une répercussion négative pour près de la moitié des 2,6 millions de personnes susceptibles de s’inscrire au chômage lors de la première année d’application des nouvelles règles d’indemnisation. Dans le détail, environ 710.000 personnes verront leur ouverture de droits retardée ou la durée de leur indemnisation baisser du fait des nouvelles conditions d’éligibilité.

Parallèlement, les mesures dites gilets jaunes (baisse de la CSG, exonération des heures supplémentaires), vont peser fortement sur le budget de la sécurité sociale. Un manque à gagner de l’ordre de 5 milliards d’euros pour la sécurité sociale qui redevient de facto déficitaire.

En ajoutant l’impact de la loi ELAN sur la baisse de la construction de logement sociaux, alors que nous en manquons cruellement, ainsi que la baisse des moyens de l’Aide médicale de l’Etat et des CHRS, la situation globale des personnes les plus fragiles, celles que nous accompagnons chaque jour, va devenir de plus en plus difficile.

Face à un modèle social qui semble être de plus en plus attaqué dans son essence même, l’insertion par l’activité ne saurait donc être le supplétif de décisions qui risque d’ajouter de la précarité à la précarité. Dans ce contexte même la plus belle des stratégies pauvreté n’y suffirait pas !

 

Elodie Coutellier, Présidente de COORACE Île-de-France

Olivier Flament, Vice-président de COORACE Île-de-France

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